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Les Prescriptions Littéraires de Ludie
17 janvier 2019

Au revoir là-haut, de Pierre Lemaitre

 

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Titre original : //
Origine : Française
Editions françaises : Albin Michel
Date de publication : 2013
Genre : après-guerre 18, historique

Note : 4,5/5

Étiquettes :
roman historique, amitié, vengeance, réinsertion, arnaque nationale

Résumons, mes bons !

«  L’histoire de ce roman, où Lemaitre se renouvelle complètement, est à la fois extravagante et fortement réaliste : Édouard, un fils de la grande bourgeoisie, artiste, homosexuel, a sauvé Albert, modeste comptable, d’une mort atroce au prix de sa défiguration par un éclat d’obus. Le lieutenant Pradelle, arriviste méprisant, va tenter de briser les deux hommes avant de se lancer après la victoire dans une arnaque ignoble consistant à vendre aux collectivités des cercueils remplis de terre et de cailloux, de morceaux de cadavres français, voire de soldats allemands. Les deux héros vont, quant à eux, monter une entourloupe plus géniale encore que celle de l’officier en profitant du climat du moment où le culte des Poilus est, en surface en tout cas, la nouvelle religion, pendant que les marchands du temple prospèrent comme jamais. »

Emprunté à Mediapart: ici

L'avis personnel…

Nous voilà en présence d'un roman qui traite en grande partie sur la période qui suit directement l'après Grande Guerre de 18. Pour ceux qui cherchent les aventures des poilus contre les Boches, passez votre chemin. Mais pour ceux qui veulent en savoir plus sur leur réinsertion dans la société, soyez au rendez-vous. Car « la Guerre ne s'arrête pas à l'Armistice ».

Au revoir là-haut est à mon sens plus qu'une simple histoire sur quelques personnages romanesques. Il vient nous rapporter que, oui, la guerre est une chose horrible, mais que parfois pour les survivants, la suite peut être bien plus amère. Les personnages tels qu'Albert, Edouard ou encore Pradelle ne sont plus le fond du roman, mais la forme. L'histoire se focalise alors sur des points de vue narratifs multiples, construisant ainsi une réalité sous plusieurs angles de l'Après-Guerre.
On finit par ressentir une profonde injustice envers les poilus. Non seulement le gouvernement semble les abandonner, mais des civils, des employeurs ou des anciens combattants comme Henri profite d'eux. On est face à un triste sort, mais également une triste réalité.
L'écriture quant à elle suit parfaitement le mouvement. Mélangeant une construction classique et orale, le lecteur se retrouve dans les années 18 avec une touche de modernité. Des faits historiques sont ajoutés, mais après, comme l'est signalé en fin de roman, toutes les anecdotes ne sont pas forcément véridiques. C'est alors au tour du lecteur de jouer au jeu du vrai et du faux. Ce qui peut s'avérer dur et dommage pour les non-connaisseurs dans le domaine. Mais je suppose c'est là un des grands enjeux du roman.

Finalement on est plongé dans un roman touchant, voire même attendrissant. Une belle lecture qu'on ne se lassera jamais de conseiller autant pour son côté poignant que pour sa poésie.

 

Des atouts ?

Tout d'abord, je mettrai en avant ce qui selon moi est la plus grande qualité du roman : L’écriture qui est juste magnifique à mes yeux. Elle mêle à la fois un style classique, littéraire mais également populaire. Un vrai délice. Ce qui en fait en plus une écriture moderne dans son mélange avec l'oralité et ses points de vues narratifs multiples. Le changement de style donne alors la parole aux personnages présents dans l'histoire, mais aussi à ceux absents (coucou Mme Maillard). S'ajoute également la voix du narrateur et de l'auteur lui-même. Un vrai jeu de dialogue interne et externe.

Puis, ne nous le cachons pas, l'histoire est drôle, poignante, triste. Remplie d'ironie et d'une réalité amère. Il y a du suspense, de l'attente. En mélangeant tout ça, la lecture devient plus qu’agréable.

 

Des défauts ?

Pas facile d'en déceler, mais j'avoue qu'à mon goût l’histoire a mis un peu de temps à démarrer. A vrai dire, je m'attendais à ce que l'objet de l'arnaque apparaisse plus tôt, mais finalement, elle ne pointe le bout de son nez qu'au milieu du livre.  Il faut attendre pas mal d'épisodes et de mésaventures des jeunes hommes pour voir l'idée germer dans l'un de leurs esprits.
C'est d'ailleurs un des rares défauts que je reproche également au roman : des rebondissements à tout va. Après, comme on le dit souvent, tout est une question de goût. J'imagine que pour certains lire des péripéties se renouveler à tout instant est un pur plaisir. Sauf que personnellement cela n'a pas été mon cas.

Spoilons !

Passez votre chemin si vous n'avez pas lu le roman ! Vous pouvez aller directement au point suivant si cela vous intéresse.

Pour ce point de l'article, j'aimerais m'étendre un peu sur certains personnages de l'intrigue qui m'ont relativement marqué.
Tout d'abord, un véritable coup de cœur pour l'adorable et enfantin Édouard Péricourt. Taquin et provocateur depuis sa tendre enfance, il représente à mes yeux l'innocence un peu gâtée par la vie. Chanceux la plus grande majeure partie de sa vie, fils d'une grande fortune française, il n'en a toutefois pas perdu sa candeur. On peut notamment la retrouver lors de sa rencontre avec l'adorable Louise. Ses extravagances à l’hôtel ne font qu'appuyer l'idée d'un jeune enfant un peu foufou qui semble profiter une dernière fois de la vie, non pas avec un confort personnel mais plutôt par une extériorisation longtemps refoulée. Bien que la fin de ce personnage semblait annoncée depuis bien longtemps, on ressent toutefois une profonde tristesse pour cet homme qui n'a pas pu vivre sa dernière bataille avec son père. Quoique…

Albert, le petit chiot constamment apeuré, perdu, provoque chez le lecteur soit une frustration proche de l'agacement, soit une grande sympathie envers lui. Car que serait le courage sans quelques frayeurs derrière les actions que l'on veut entreprendre? Tout en douceur, Albert nous montre le courage non seulement d'un poilu abandonné et trahi, mais aussi le héros du quotidien. Pas celui qui vient en aide à autrui, mais celui qui continue de vivre malgré une vie misérable. On a envie de le protéger, l'aider et c'est là ce qui est paradoxal : se prendre d'affection pour un trouillard qui vacille entre la chute et l'ascension.

Puis apparaît en parallèle le détestable Henri Pradelle. Le symbole des arrivistes de l'après-guerre, des « mercantis ». Un autre point de vue de cette période où on se rend compte qu'un faible pourcentage des poilus peut finalement s'en sortir, dès lors où il ment, triche et fructifie son argent sur les vies humaines. Il rappelle qu'une position, un rang, peut toujours servir, de même qu'un mariage bien fait. Cet homme respire la malhonnêteté et plus on avance dans l'histoire, plus on se rend compte qu'il est possible pour un être humain de perdre son humanité. Absences de scrupules, de regrets, d’empathies… Finalement, la guerre c'est aussi le bon moment aux crapules de faire leur nid.

Ainsi, l'injustice parcourt la majeure partie de Au revoir là-haut. Elle s'installe doucement, s’approfondit, grandit, dévore tout sur son passage. Et lorsqu'une faible lueur apparaît, elle souffle dessus pour l'éteindre. On s'attriste, on tape du pied, on rage. Est-il vraiment possible que la Justice ne puisse pas se tenir debout au milieu de toutes ces horreurs ?
Puis arrive Merlin… Celui qui découvre, dévoile, flanche. La nouvelle étincelle qu'on teste, qu'on suit, qu'on encourage. Non, on ne l'oublie pas.

Allons un peu plus loin…

« La guerre ne s'arrête pas à l'Armistice », en particulier pour les poilus qui doivent faire face à une nouvelle bataille avec leur retour à la vie civile. Les ennemis ne sont plus les Boches, mais sa propre nation.
Outre la passive agressivité des non-mobilisés ( la jeune promise Cécile, l'ingrat taxi-driver, les patrons qui sous-payent les soldats, le rejet des invalides, …), la plus grande critique se fait sans doute vers la bureaucratie gouvernementale. Dès la première partie, la guerre est déclarée : on entasse les survivants durant des jours dans des « enclos », on leur fait de belles promesses, on les fait poireauter et on les renvoie sans rien dans une société en pleine inflation. La maigre pension qu'on leur donne en remerciement de leur patriotisme ne suffit pas pour une réinsertion en bonne et due forme. Le poilu n'est certes plus dans les tranchées, mais il y vit presque les mêmes conditions à son retour en France. Comment expliquer cela ?
Le pays, avec les restaurations de la guerre à faire et sans le payement de l'Allemagne, semble ne plus avoir de sous dans la caisse. On promet une amélioration, tente un programme d'insertion, mais ce n'est pas suffisant. De nombreuses scènes du roman sont des passages où la paperasse est au centre de l'action ou l'influence : la démobilisation, les transferts de malades, les demandes de pensions, les salaires, les transactions bancaires, les dossiers d'inspection. Chaque fois qu'il est question d'un contact avec la bureaucratie, un malentendu pointe son nez. La démobilisation prend du temps, après tout, il y a des problèmes avec les vols d'identités ou les papiers perdus durant la guerre. Un gradé peut s’immiscer dans le transfert d'un invalide. La pension s'avère moins mirobolante que promise. Les salaires sont d'une misère. Les dossiers d'inspection se perdent à travers les chemins des hiérarchies ministérielles…
Les poilus n'en ont pas fini avec la guerre.

Ce qui nous amène à nos trois protagonistes principaux. Trois personnages symbolisant trois poilus de l'après-guerre.
Un mutilé à travers le jeune Édouard, l'homme aux mille masques. Les invalides ne sont pas rares après les guerres, bien au contraire. Condamnés à porter toute la vie des stigmates de leurs batailles, physiques ou psychologiques, les rescapés peuvent toutefois alléger le poids de leur fardeau. Faut-il encore que la médecine soit assez moderne pour les aider mais aussi que les blessés le veuillent également. Ce qui n'est pas le cas de notre héros qui refuse catégoriquement qu'on lui mette une prothèse pour remplacer la moitié de son visage arrachée par un éclat d'obus. Le seul choix qui lui reste pour ne pas souffrir le reste de ses jours est finalement de devenir dépendant à la morphine tout en restant enfermé pour ne pas être regardé comme une bête de foire. Triste sort qui s'avère relativement commun à de nombreux anciens mobilisés.
Nous pouvons également trouver la figure du soldat traumatisé à travers le roman, notamment par le biais d'Albert Maillard. Déjà pas très gâté par la nature au niveau du courage, l'homme finit par être gagné par la claustrophobie suite à son ensevelissement vivant sous terre. Entre les cauchemars de la guerre, la perte de camarades dont il n'a pas retenu les noms ( déshumanisation inconsciente sans doute), s'ajoute donc un traumatisme personnel qui ne fait qu'accentuer sa peur naturelle. Obligé de fuir certaines situations difficiles, il doit également combattre ses frayeurs dans la vie quotidienne où rares sont ceux qui peuvent le comprendre dans une société qui cherche à oublier une guerre trop pesante et dérangeante. Le soldat traumatisé ne peut alors compter que sur lui-même et tenter de retrouver seul une existence perdue qu'il ne pourra sans doute jamais connaître à nouveau.
Et pour finir, nous avons le soldat arriviste, souvent gradé et décoré pour ses méfaits volontaires ou involontaires. Pradelle, l'ambitieux sans scrupules, se range parfaitement dans cette catégorie en particulier avec sa compagnie chargée de regrouper les soldats morts dans des cimetières militaires. Ses actions inqualifiables font de lui un homme riche, très riche, au détriment des malheureux. Mercanti, il est aussi un homme peu loyal envers sa femme mais également ses amis. Tout n'est qu'une question de relations et surtout, d’intérêts. Les aléas de la guerre, les blessures, les traumatismes, le patriotisme, peu importe car pour lui seul compte l'argent. Tout est bon pour en gagner plus, même brader la taille des cercueils des pauvres hommes morts au combat. Dans les derniers mots de la fin du roman, Lemaitre explique qu'Henri n'a jamais existé mais que le trafic des cimetières militaires était bien réel. Il renvoie d'ailleurs à de nombreux livres et documentations pour souligner son travail et réorienter les plus curieux qui auraient le désir d'approfondir le sujet.

Ce qui nous amène à l'ultime coup de génie de l'auteur qui a su parfaitement créer un roman mêlant fiction et Histoire.
C'est une intrigue mener par un antihéros, Albert, qui cherche désespérément à survivre dans une société qui après ses services, aimerait bien qu'il disparaisse un peu. A côté, nous avons la tragédie de la famille Péricourt qui déjà depuis des années vit une guerre interne entre un père distant et un fils provocateur à la recherche de liberté. On a le bourgeois aristocratique accroché à ses racines nobles mais dont la famille s'est non seulement éteinte mais a perdu également toute sa richesse. Une double arnaque s'installe en arrière-plan de l'histoire avec les faux monuments et les cimetières militaires. Tous ces événements enrichissent le côté romanesque de l’œuvre et offrent aux lecteurs un divertissement qui le tient en haleine jusqu'aux dernières pages.
Mais à côté, on ressent la profonde recherche de Pierre Lemaitre sur le sujet de l'après-guerre 18. Même si tous les faits ne sont pas réels, nombreux sont issus de documents historiques. Les généralités et les apartés de l'auteur viennent apporter la richesse des anecdotes et des documentations qui ont été inséré subtilement dans le récit. Rappelant habilement le mélange des genres entre la fiction et la réalité. On a presque le droit à une leçon d'Histoire dispensée par un génie de la littérature. Et que c'est magnifique !

L'idée revient souvent à travers les critiques qu'on devrait donner cette lecture à étudier dans les classes. Je ne peux que rajouter mon modeste avis notamment en soulignant encore une fois sa qualité d'écriture mais également de fond aussi bien fictionnel qu'historique.

 

Passages choisis.

C'est tout ça qui l'a usé, rongé, Albert, en plus de tous les copains qui sont morts et auxquels il voudrait ne pas penser. Il en a déjà vécu des moments de découragement, mais là, ça tombe mal. Justement à l'instant où il aurait besoin de toute son énergie. Il ne saurait pas dire pourquoi, quelque chose en lui a soudainement lâché. Il le sent dans son ventre. Ça ressemble à une immense fatigue et c'est lourd comme la pierre. Un refus obstiné, quelque chose d'infiniment passif et serein. Comme une fin de quelque chose.

La vie d'Albert tient à peu de chose : il ne sera pas fusillé parce que, ce mois-ci, ce n'est pas à la mode.

« Tout ça, écrivit-il, c'est d'abord la faute à la guerre. Sans la guerre, pas de Pradelle. »

- Et celui au nom de Péricourt, tu te souviens qui l'a emporté ?
Mais il connaissait déjà la réponse.
- Affirmatif. Un lieutenant, je ne connais pas son nom.
- Un type grand, mince…
- Exact.
- … avec des yeux bleus ?
- C'est ça !
- L'enculé…
- Ça, je peux pas te dire…
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  • " Il y a des livres qu'il devrait être interdit de lire trop tôt. On passe à côté ou à travers. Et des films aussi. On devrait mettre dessus une étiquette : Ne pas voir ou ne pas lire avant d'avoir vécu. " - Jean-Michel Guenassia -
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